Nous avons l’ambition de faire du domicile un lieu d’engagement et d’inspiration. Cela passe par l’expertise des équipes de l’Université du domicile pour anticiper, analyser et comprendre les enjeux sociétaux qui se jouent chez chacun de nous, mais aussi par des rencontres avec ceux qui font bouger les lignes. C’est le cas de Charles Aivar, adepte du zéro déchet, dont l’objectif est de réduire son émission de carbone à 2 tonnes, soit 5 fois moins que la moyenne en France. Son credo : la frugalité sans radicalité et surtout, sans s’isoler. Comment y parvient-il ? Nous avons percé son secret.
Votre engagement éco responsable est sur plusieurs fronts. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Commençons par le volet professionnel : je suis chef de projet pour la Fédération Nationale des Travaux Publics, je développe une plateforme de ressources pédagogiques. Mon rôle est d’accompagner les entreprises dans leur mutation. Mon quotidien, ce sont les sujets de transition côté travaux publics.
Mais je suis avant tout très actif d’un point de vue personnel. Depuis 2010, j’ai réduit mon empreinte carbone actuelle de 10 tonnes à 5 tonnes. Mon objectif est de tomber à 2 tonnes pour m’aligner avec l’accord de Paris.
Racontez-nous votre cheminement.
Dans les années 2000, j’étais « flexitarien » c’est-à-dire que je faisais des entraves au régime végétarien uniquement lors de repas d’affaires ou chez des amis. En 2010, j’ai opté pour le régime végétarien complet. 4 ans plus tard, j’ai eu un déclic en visionnant un reportage sur Béa Johnson, la papesse du Zéro déchet. En me rendant au supermarché, je ne voyais plus que des emballages. Ce qui était inconscient et invisible est devenu conscient et visible. J’ai stoppé tout achat de produits industriels et je suis revenu à une alimentation plus saine. Désormais, je n’achète que le strict minimum : huile, vinaigre, beurre. Tous le reste, c’est du vrac ou des denrées issues des producteurs locaux, proches de chez moi. Mais le plus grand pas que j’ai franchi, c’est pendant la crise du COVID.
Que s’est-il passé ?
J’ai coutume de dire qu’avant la crise sanitaire, j’étais dans le bac à sable de la transition écologique. Mais désormais je joue dans la cour des grands, entre guillemets bien sûr. Pendant le confinement, j’ai fait une boulimie d’informations sur les sujets écologiques en suivant des personnalités très engagées comme Jean-Marc Jancovici ou Arthur Keller. J’ai pris conscience que le pétrole, les émissions, sont sous-jacentes à tous nos achats. Je me suis demandé sur quoi j’avais la main pour réduire mon empreinte carbone de manière encore plus significative. Comme je vis à la campagne, l’aménagement d’un potager s’est imposé. Aujourd’hui, j’arrive à une forme d’autoconsommation en légumes de base. Nous sommes en novembre, je n’ai pas acheté un légume à l’extérieur depuis le mois de juin. Je fais des yaourts maison, j’envisage de produire mon miel pour ne plus acheter de sucre. Je pratique également le jeûne intermittent : je limite mon nombre de repas en fonction de mon activité physique.
Mais tout n’est pas lié à la nourriture ?
Non, il y a bien sûr l’achat de vêtements, que j’ai stoppé, mais aussi la mise en place d’un réservoir de récupération d’eau de pluie. Dans une de mes salles de bain, l’utilisation de savon est prohibée afin de récupérer l’eau. Je ne fume pas, je ne bois ni vin ni bière, sauf éventuellement lorsque je suis invité. Je chauffe au minimum et le plus souvent grâce à poêle à bois. Je fais énormément de bricolage, de réparations. Je tâche d’être créatif avec ce que je possède déjà. Avec tous ces gestes, je suis arrivé à 5 tonnes d’émissions.
Que vous reste-t-il à accomplir pour descendre à 2 tonnes ?
Supprimer la voiture pour gagner encore 1,5 tonne, même si c’est un modèle électrique. Cela me permettra d’atteindre une empreinte de 3,5 tonnes. Je n’ai fait que 70 km ces deux-derniers mois, je teste la vie sans voiture mais plutôt à vélo, et ça me semble tout à fait envisageable. Je pratique également la permaculture dont j’aime la philosophie : « tout problème est la solution d’un autre problème ». Pour le chauffage, je peux encore améliorer les choses, j’étudie actuellement différentes options. C’est le dernier poste que je dois solutionner pour arriver à 2 tonnes.
Cela ressemble à la méthode BISOU. Vous la connaissez ?
Non mais apparemment, elle rejoint tout à fait mes engagements : ai-je Besoin de cet objet ? Est-il Indispensable ? N’en ai-je pas un Semblable ? Quelle est son Origine ? Et son Utilité ? Je connais plutôt la règle des 5 R : Refuser, Réduire, Réutiliser, Recycler, Rendre à la terre. C’est assez complémentaire.
Quels sont les derniers obstacles que vous rencontrez ?
Il y a tout ce qui est lié à la low-tech : ordinateur, téléphone portable, écrans. J’en ai besoin pour travailler, je ne peux pas les supprimer. Le discours radical ne me va pas. J’accepte de devoir faire appel au système, à condition d’avoir toujours en tête cet adage : « comment j’arrive à répondre à mon besoin avec quasiment rien ? ». Le drame d’aujourd’hui, c’est la quantité. Potentiellement, rien n’est mauvais, c’est l’excès qui rend les choses problématiques. L’hyperexcès est tout autour de nous.
Vous êtes-vous fixé des limites ?
La limite est quand, socialement, ces problématiques génèrent un isolement. Dans ce cas, c’est que vous n’êtes plus sur le bon chemin. Je suis toujours dans la recherche d’équilibre. Les pas en avant nécessitent parfois des retours en arrière. Il m’est arrivé de supprimer des choses, et d’en revenir. Mais ce que je réintègre, à défaut de pouvoir l’éliminer, je le réduis et le rend plus vertueux.
Quel est le geste le plus simple et le plus emblématique que vous conseillez à ceux qui souhaitent s’engager ?
La nourriture, sans hésiter ! Diminuer sa consommation de produits d’origine animale, réduire ses emballages, éviter les produits transformés : c’est à la portée de chacun. Il faut distinguer l’envie du besoin dans un monde où tout est fait pour nous apporter de la confusion.
J’ai conscience d’avoir un écosystème (la campagne) qui me permet de mettre certaines choses en place, ce n’est pas le cas de tout le monde. En ville, il y a des choses plus difficiles à faire et d’autres plus faciles. Un tel engagement nécessite un état d’esprit, du temps, d’accepter la lenteur : tout le contraire du monde d’aujourd’hui !
Mais le bénéfice est là : on retrouve de la capacité financière et on reprend le contrôle.
Avez-vous l’ambition de partager votre expérience ?
Je sais qu’il y a des gens très intéressés mais qui ne savent pas comment s’y prendre, et je suis conscient du rôle potentiel d’influenceur qu’a chacun d’entre nous. Si je transmets mes conseils, je le fais avec humilité, sans vouloir les imposer aux autres. Le meilleur moyen de convaincre, c’est d’agir. Je vais publier des posts sur des questions très pratiques : « comment sortir tel objet de ma vie ? », « comment s’y prendre pour la nourriture ? ». Je prône la technique du colibri : je ne sauve pas le monde mais je fais ma part. C’est déjà une satisfaction de pouvoir se dire : à mon échelle, je ne contribue pas à la destruction en marche.