Cohabiter entre générations, comprendre ce qui les lient et les opposent et surtout, comment concilier les attentes des jeunes avec les exigences de l’entreprise pour créer un lien de confiance. Vaste sujet ! Notre CFE a organisé un atelier et apporté les clés pour s’adapter à la vision du monde du travail des X, Y et Z, se mettre à la hauteur de leurs attentes tout en attendant d’eux de prendre... de la hauteur ! Il est question d’inclusion, d’autonomie, d’engagement, d’équilibre, d’assertivité, de mentoring. Plongez au cœur d’une problématique managériale brûlante et ouvrez notre boîte à outils.
Entre flexibilité et insécurité : le grand défi de l’entreprise
Radiographie des (jeunes) générations
Autour de Sylvain Deneux, Responsable du Centre de formation Entreprises de l’UDD, organisateur de l’atelier, et de Géraldine Dupont-Calvier, executive coach et formatrice en management et leadership, les participants à l’atelier sont responsables d’équipe, RH, responsable administratif, à des postes de direction d’une CPAM, d’un organisme de formation ou d’un centre transport et logistique. Tous sont confrontés à la cohabitation entre générations, à l’instar de Delphine qui doit faire face à « une problématique de choc générationnel et notamment celle de faire comprendre aux anciens que les nouveaux ne travaillent pas comme eux » ou de Jérémie qui gère essentiellement « de jeunes recrues et du travail en distanciel ».
Pour planter le décor, la formatrice débute par présenter un panorama des différentes générations qui évoluent dans le monde de l’entreprise :
Commençons par les « boomers » (nés de 1945 à 1960) qui sont encore dans l’entreprise, souvent à des postes de direction ou de management : « C’est la génération du devoir (plus que des droits) pour qui le travail est une valeur forte et le statut hiérarchique important » précise la formatrice.
Leurs successeurs sont les « X » (entre 1960 et 1975) et forment la génération de l’« avoir », ils veulent posséder. « Ils ont traversé beaucoup de crises et contribué à diffuser un management de plus en plus participatif ».
Suivent ensuite les Y (1975 à 1995), appelés aussi « millenials ». C’est la génération du « Why » (« pourquoi » en anglais) qui a transformé la relation professionnelle et a apporté la flexibilité. Une génération clé puisque les millenials représenteront 75% de la population active en 2030.
Enfin, place à la génération Z, celle constituée de jeunes nés à partir de 1995. Ils sont à la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, c’est la génération de l’émotion : « la vision qu’on leur donne doit les toucher » et nécessite « un management de proximité, d’écoute, de prise en compte de l’individu ». Ils attendent « épanouissement et plaisir », « le travail n’est pour eux qu’une pièce du puzzle de leur vie dans lequel figurent aussi le sport, le couple, les amis, etc. ». C’est une génération prometteuse et intéressante mais difficile à gérer, qui oscille entre la digitalisation et les incertitudes économiques.
Aujourd’hui, l’entreprise doit composer avec ces 4 générations, sachant que les « séniors » vont rester plus longtemps. Il est donc nécessaire de trouver des stratégies intergénérationnelles face aux conflits, dans un contexte difficile.
« ATAWAD » : un mot d’ordre fort dans un contexte anxiogène
Le COVID a été très violent pour les jeunes générations, comme l’a rappelé Géraldine Dupont-Calvier : « Nous avons cru plusieurs fois nous en sortir mais nous retournions à chaque fois au confinement », puis nous avons réussi à nous en extirper. La guerre en Ukraine a suivi, puis l’inflation, la crise de l’immobilier et bien sûr la question environnementale omniprésente. Les jeunes se lèvent le matin « et ne savent pas quelle gifle ils vont prendre » car le monde n’offre aucune certitude. Pour contrecarrer leur peur, ils attendent de la liberté et de l’épanouissement. Par conséquent, quand ils entrent dans l’entreprise, s’il n’y a pas une culture forte, cela accentue encore plus leur angoisse. Il est donc crucial de cadrer la relation de travail mais attention, « en étant flexible » : « C’est toute la difficulté de la position RH et managériale » précise notre experte.
Pour les jeunes (mais aussi pour beaucoup de collaborateurs plus âgés), impossible d’échapper à la question du télétravail. Nous sommes dans une dynamique dite « ATAWAD », qui veut dire en anglais : « any time (n’importe quand), anywhere (n’importe où), any device (« n’importe quel terminal »). « Aujourd’hui nous ne pouvons pas revenir en arrière sur le télétravail. Tout le monde veut le conserver » concède la formatrice. Mais, et c’est là où les jeunes générations peuvent être déstabilisantes, il est aussi indispensable d’adopter un management de proximité, car ces nouvelles recrues expriment « le besoin d’être ensemble. Ils aiment le côté tribu, et se retrouvent régulièrement à des afterworks ». 63% considèrent que pour bien apprendre*, il faut être en présentiel et « pas seulement avec le manager mais aussi au contact des autres collaborateurs ».
C’est ici que pointent les premières solutions pour améliorer la relation, notamment en adoptant le mentoring ou mentorat, c’est-à-dire en formant un tandem solidaire entre un nouveau collaborateur et un autre plus expérimenté. Le partage de projets (l’échange de documents et fichiers multimédias) est également fortement conseillé
Géraldine Dupont-Calvier invite les participants à partager leur expérience. Jérémie observe que les nouvelles générations ont toujours de « l’enthousiasme à se mettre sur les projets mais ne les suivent pas toujours jusqu’au bout. Il y a une notion de zapping » ou de scrolling pour reprendre un terme cher aux adeptes des réseaux sociaux. Pour Isabelle, « c’est là que le management doit les guider » car, comme le résume Marie-Florence, « la confiance n’exclut pas le contrôle ».
Cadrer et communiquer pour attirer et fidéliser
Comprendre et accepter les attentes
Construire un cadre solide : concernant ce point majeur (et indispensable), la formatrice conseille vivement d’avoir en tête les trois critères incontournables des jeunes générations. Pour commencer, il y a l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. En deuxième position vient la rémunération. Et enfin, autre attente très forte : la possibilité de se former et de développer ainsi de nouvelles compétences.
Pour compléter le tableau et bien poser le cadre de la relation de travail, Géraldine Dupont-Calvier invite les managers à organiser des « feedbacks » (des points d’étapes) récurrents et réguliers, qui posent des balises et des limites et permettent de se challenger : « Si tout est millimétré, il y a moins de surprise » explique-t-elle.
La communication : une arme fatale
Dans ce contexte, l’image projetée par l’entreprise est fondamentale. C’est pourquoi la communication doit être léchée, mettre en valeur l’engagement sociétal de l’entreprise (pratiques durables, préoccupations climatiques, etc.), insister sur le bien-être. Faire témoigner d’autres collaborateurs sur l’entreprise est un atout pour attirer et même fidéliser les jeunes recrues. Marie-Florence acquiesce et explique que « la cooptation est magique, c’est-à-dire transmettre les valeurs par des collaborateurs qui deviennent des ambassadeurs ». La formatrice approuve cette démarche mais alerte toutefois sur l’importance pour l’entreprise de « tenir ses promesses et d’être raccord avec les valeurs affichées ».
Corinne nuance et insiste sur un décalage parfois difficile à surmonter : « Ce n’est pas facile de comprendre ce qui fonctionne ou pas auprès des jeunes. Je pense à Tik Tok par exemple : nous avons un service qui s’en occupe mais moi ça me dépasse ! ». Pour Géraldine Dupont-Calvier, ce que Corinne évoque impose « la nécessité pour les services RH de se former. Il est crucial d’intégrer dans l’équipe des personnes compétentes sur les réseaux sociaux ».
Onboarding et preboarding
Les attentes des nouvelles générations sont très importantes, et ce, dès l’onboarding. Et pourtant, dans la pratique, il reste du chemin à parcourir : une étude People Onboard estime ainsi que 65% des entreprises n’ont pas de processus d’intégration. De quoi compliquer la construction d’une bonne relation avec les jeunes recrues ! Pourtant, si elle est réussie, l’intégration permet de conduire à une enculturation plus rapide, à des niveaux d’engagement plus élevés et à une réduction du temps nécessaire à la pleine productivité. Les retours d’expérience des participants à l’atelier s’avèrent là encore de bon conseil. Dans l’entreprise où travaille Marie-Florence, le recrutement est vu comme « un travail d’équipe » et les collaborateurs y sont associés afin de préparer l’arrivée des (petits) nouveaux.
Avant même l’intégration, la formatrice souligne l’importance de ne pas négliger le « pré-boarding », période entre la confirmation d’embauche et le premier jour de travail, qui peut parfois durer plusieurs mois. Elle cite l’exemple d’une grande entreprise française qui propose un parcours bien fléché, avant l’arrivée, le premier jour et dans les mois qui suivent. Cela passe notamment par des rencontres entre le salarié et les managers de chaque équipe, un parrainage, l’immersion dans un autre service que le sien, etc. Autant d’implications dans la vie des collaborateurs permettant de favoriser l’esprit d’équipe, l’apprentissage et l’évolution, et qui répond aux exigences des jeunes talents.
Tout cela, les Z adorent : ils ont des idées arrêtées mais ils veulent aussi être éduqués !
Tips, astuces et conseils pour RH et managers
Intelligence émotionnelle et care management
Manager et la fidéliser la jeune génération est impossible sans bienveillance ou « care management » c’est-à-dire une écoute, de la disponibilité, de l’empathie et de la flexibilité, tout en tenant le cadre. N’oublions pas qu’il s’agit de la génération de l’émotion ! Cela requiert également de la patience (surtout avec le travail en distanciel). Et Géraldine Dupont-Calvier ajoute la notion de défi que les managers doivent intégrer et qui stimule la responsabilité et l’autonomie des jeunes car, une fois intégrés dans l’entreprise, « ils sont agiles et il ne faut pas hésiter à les challenger ».
La formatrice interroge les participants sur les « soft skills » managériaux attendus par les jeunes : il est ainsi question de résilience, de capacité à se relever et à rebondir, d’authenticité, de courage et d’honnêteté. Sans oublier le principe incontournable de l’exemplarité (« un manager n’envoie pas de mail à 22 heures »).
« Le manager doit être capable de gérer ses émotions et celles de ses collaborateurs, d’adopter une posture proche de celle du coach » résume la formatrice. A la clé, cela créé un environnement qui favorise la Qualité de Vie au Travail (QVT) et prévient les Risques Psycho-Sociaux (RPS).
Valeurs et l’inclusion : la force d’une culture d’entreprise
Autre point important pour un management « authentique » : la culture d’entreprise. « C’est ce qui cimente les gens » explique notre experte. Pourquoi ? Parce qu’elle fait réfléchir à des valeurs partagées. Si les objectifs ne sont pas clairs et qu’il n’y a pas de vision managériale, il sera difficile de rester dans le droit chemin. Un bon ciment apporte autonomie et confiance.
Cette culture d’entreprise doit aussi intégrer une politique inclusive, un engagement pour promouvoir la diversité au sein des équipes. Cela passe par un recrutement inclusif, la diversification des canaux de recrutement, la formation des recruteurs et des collaborateurs sur ce sujet, une inscription dans la description des postes, un suivi et une mesure de la diversité, et une bonne communication sur les engagements. Cette-dernière peut passer par exemple par une mise en valeur dans la communication interne et externe, en instaurant des rôles modèles pour « donner à voir » (des ambassadeurs).
La confiance intergénérationnelle
A l’approche de la fin de l’atelier, Géraldine Dupont-Calvier insiste sur l’importance de montrer ce qui va bien et ce qu’il faut améliorer, de « dire ce qu’on va faire, faire ce qu’on a dit et surtout, dire qu’on l’a fait, avec élégance et mesure » : « tout cela créé une circulation de l’intelligence » explique-t-elle. Elle ajoute : « Quand on fait travailler et réfléchir les Z, il faut les orienter solutions : Qu’est-que vous proposez ? ou, encore mieux, qu’est-ce qu’il aurait fallu qu’on fasse ? ».
Confiance et communication contribuent à limiter la défiance qui existe parfois (souvent ?) entre les générations qui cohabitent dans l’entreprise. La confiance peut être renforcée par l’instauration de « mentoring » comme nous avons vu auparavant, mais aussi de « reverse mentoring ». Cette pratique permet à un collaborateur plus âgé d’être conseillé et guidé par un plus jeune pour une « ouverture générationnelle ». A méditer...
Enfin, notre experte invite les RH et managers à pratiquer l’assertivité, c’est-à-dire la capacité à s’exprimer, à défendre ses droits et son opinion sans empiéter sur ceux des autres. Cela contribue à mettre de la distance tout en compatissant. L’assertivité est « une compétence managériale qu’il convient d’acquérir face à cette jeune génération » conclut-elle.
Au terme de 3 heures d’échanges, les participants repartent avec des clés et des idées de leviers à activer pour attirer, fidéliser les jeunes générations et construire une relation professionnelle solide. Comme l’explique Sylvain Deneux, certains responsables peuvent avoir l’envie et/ou la nécessité d’aller plus loin sur ce vaste sujet. Pour cela, le CFE propose une formation spécifique destinée aux managers, mais aussi des formations sur mesure, et organise régulièrement des webinaires sur sa chaîne Webikeo.
* 13e édition de l'étude annuelle de la génération et du millénaire du cabinet de conseil Deloitte